ENTRETIEN AVEC CELINE MONSARRAT

Sa voix est incontournable : de Julia Roberts (dont elle est le double vocal), en passant par DRAGON BALL, LE MONDE DE NEMO ou RETOUR VERS LE FUTUR, Céline Monsarrat a participé à la version française de bien des films et séries cultes. Contactée pour un projet dont je vous parlerai courant 2014, cette grande artiste (comédienne, auteure, metteur en scène) a accepté de répondre aux questions de LIBERTE SERIE…

Créer sans dénaturer, est-ce ça le doublage ?

Oui, ça peut se dire comme ça, même si ce travail-là n’est pas réellement de la création.

Vous avez de la chance avec Julia Roberts, car c’est une actrice qui s’attaque à tous les genres. D’ailleurs, est-il plus simple de doubler une comédie romantique comme JUST MARRIED OU PRESQUE et/ou plus motivant de travailler sur l’adaptation d’un film avec plus de fond, à l’instar du SOURIRE DE MONA LISA ?

Plus simple non, peut-être plus amusant…

A vos débuts, vous avez remplacé Sylvianne Margolé sur Melissa Sue Anderson dans LA PETITE MAISON DANS LA PRAIRIE et Cheryl Ladd dans DROLES DE DAMES lorsque cette actrice est partie pour les Etats-Unis. Par contre, vous n’avez pas pris sa succession sur CANDY, dont elle doublait l’héroïne à la même époque. Pourquoi ?

Je ne sais pas.

Quelques années après PROVIDENCE, vous avez retrouvé Melina Kanakaredes pour LES EXPERTS : MANHATTAN. Le hasard a voulu que ce soit Sela Ward, que vous avez doublé dans DEUXIEME CHANCE et DR. HOUSE, qui la remplace. Avez-vous ne serait-ce que caressé l’espoir de conserver votre place sur la série ?

Non.

Mais avez-vous votre mot à dire sur le choix de l’actrice à doubler quand plusieurs comédiennes que vous suivez se retrouvent dans le même film ?

Non.

Avez-vous des retours des producteurs et/ou acteurs concernés, ont-ils leur mot à dire ?

Des retours des Majors, quelquefois, quand le doublage trouve grâce à leurs yeux.

Des acteurs concernés ? Pour ma part, non.

Y’a-t-il des spécificités ou des difficultés relatives à la nationalité de la fiction à doubler ?

L’anglais est plus simple à doubler que le brésilien, ou l’italien, et bien évidemment que toutes les langues asiatiques.

Craignez-vous de vous abîmer la voix lorsque vous la prêtez à des personnages animés hauts en couleur, comme Bulma (saga DRAGON BALL) ou la Schtroumpfette (LES SCHTROUMPFS) ?

Non, c’est une technique…

Le public a du mal à imaginer que vous n’aimez pas forcément toutes les productions auxquelles vous prêtez votre voix. Le comprenez-vous ?

Non. On ne peut pas aimer tous les genres… Et vous ?

Je le comprends, car c’est un travail. Mais le votre fait fantasmer beaucoup de monde et je conçois que cette part de rêve prenne le pas sur la réalité…

Mais revenons-en à vous, qui jouez la comédie, écrivez et mettez en scène. Où puisez-vous votre inspiration et avez-vous déjà été obligée de renoncer à une aventure afin de concrétiser un projet ?

Une aventure ? De quoi parlez-vous ?

D’un contrat que vous auriez peut-être dû refuser pour développer un projet personnel.

En tant que lecteur, on a tendance à se représenter les protagonistes d’un livre et avons, de fait, généralement du mal avec son adaptation à l’écran. Vous êtes auteure : arrivez-vous à passer outre pour vos romans et pensez-vous déjà aux acteurs de vos pièces au moment de la rédaction ?

J’ai souvent écrit pour des acteurs que je connaissais, mais c’est agréable aussi de faire sa distribution après écriture du texte, ou bien sûr laisser ce privilège au metteur en scène.

Christophe Lemoine (NCIS, SOUTH PARK) a récemment déclaré ne plus  consommer de VF réalisées après les années 70, histoire d’éviter de passer son temps à identifier tel ou tel collègue. Cela vous arrive-t-il aussi, d’autant que votre fille, Alexia Papineschi, s’illustre elle aussi brillamment dans ce métier ?

Ça dépend des films, il y en a pour lesquels je ne cherche pas à reconnaître les voix… et si le doublage est bien fait, je me laisse embarquer par l’histoire, je suis une spectatrice comme une autre !

A ce sujet : a-t-elle offert une cravate ou du parfum à son papa pour la fête des pères ? *

Nous n’avons pas eu la réponse à la radio… 😉

Il faut le lui demander…

Merci Madame MONSARRAT !

Propos recueillis le 24 octobre 2013.

Plus d’informations sur la comédienne :

http://cmonsarrat.free.fr/

Pour suivre l’évolution de son dernier projet :

http://www.ruedudessousdesberges.com/

* Référence au spot radiophonique pour Marionnaud, enregistré par Céline Monsarrat et sa fille.

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ENTRETIEN AVEC ERIC LEGRAND

Depuis près de quatre décennies, sa voix berce des millions de cinéphiles (GREMLINS, PLATOON, CALME BLANC…), d’amateurs de séries télévisées (LES PETITS GENIES, FX EFFETS SPECIAUX, ANGEL, MAD MEN etc.) et de passionnés d’animation japonaise (DRAGON BALL Z, LADY OSCAR, ALBATOR 84, LES CHEVALIERS DU ZODIAQUE).

Véritable légende vivante du doublage, Eric Legrand a gentiment accepté de répondre aux questions de LIBERTE SERIE avec franchise, humilité et humour…

Le fait de jouer la comédie est-il un moyen de retrouver son enfance, un défouloir ou une activité narcissique ?

Mais tout ça à la fois, bien entendu ! C’est une excellente façon de dire les choses.

Une petite nuance, toutefois : ce n’est pas un moyen de retrouver son enfance, c’est un moyen pour ne pas la quitter. Enfin, pour ce qui me concerne en tout cas.

Pour la plupart des gens, vous n’êtes pas un comédien qui fait du doublage entre autres activités, mais un doubleur. Terme inexact, mais malheureusement devenu générique car utilisé dans les médias. Y-aurait-il un mépris pour les acteurs qui se spécialisent dans cette partie du métier ?

Petite précision : comme la plupart des comédiens qui font beaucoup de doublage je ne me suis pas spécialisé par volonté. C’est parce qu’on m’a beaucoup appelé pour en faire que je me suis trouvé à être spécialisé, si on peut dire ça ainsi. 

Du mépris de la part des gens des autres branches de ce métier (comédiens, réalisateurs, metteurs en scène…), oui, il y en a eu beaucoup fut un temps. A un point qu’on a du mal à imaginer, même. Faire du doublage était aussi honteux que si on s’était prostitué. Il ne fallait surtout pas en parler quand on avait un rendez-vous pour un rôle sur scène ou devant la caméra. Si on faisait du doublage c’était probablement qu’on n’était rien d’autre qu’un perroquet sans talent, incapable de jouer la comédie par lui-même.

J’avais un voisin, comédien lui-même, qui tournait pas mal pour la télévision et faisait beaucoup de théâtre à cette époque. Quand je le rencontrais dans la rue il me demandait souvent avec un ton d’horreur affligée « Mais coooooomment tu peux faire ÇA !? ».

Le rigolo de l’histoire c’est qu’il ne tourne plus et n’est pas monté sur scène depuis longtemps mais qu’il s’est mis à faire lui-même du doublage et qu’il est même devenu « la » voix d’un acteur qui a en particulier le rôle principal d’une série devenue très célèbre. Ce dont il est très fier…  

Oui, les choses ont bien changé, à présent, parce que les spectateurs se sont mis à s’intéresser aux voix, et parce que les stars se sont mises elles-mêmes à faire du doublage parfois, et à dire que ça les amusait, que ce n’était pas si facile, et que c’était une autre façon de faire l’acteur, une des nombreuses façons possibles. Si elles le disent c’est que ça doit être vrai, alors, et si les gens connus en font, c’est que ce n’est peut-être pas si répréhensible que ça d’en faire. Mais ne rêvons pas quand même, ce n’est pas déshonorant que si on fait d’autres choses par ailleurs… Sinon, au regard des gens du métier, ça reste toujours un truc pour les pauvres ceux qui ne sont pas capables de faire autre chose.

Comprenez-vous que le public ait du mal à saisir que vous n’aimez pas forcément ce que vous doublez ?

Oui et non. C’est-à-dire que les gens s’imaginent que, sous prétexte que nous faisons un métier « artistique » que nous avons choisi (je ne parle pas spécifiquement du doublage, là – car je n’ai pas « choisi » de faire du doublage – je parle du fait d’être comédien), nous devons forcément aimer faire la chose sur laquelle nous travaillons si nous avons accepté de la faire. Du moins je pense que c’est ce qu’ils ont dans la tête. Mais, d’une part, refuser un travail est un luxe que bien peu de comédiens peuvent s’autoriser et, d’autre part, on ne choisit rien du tout dans le doublage (on accepte une date et un horaire de travail et non pas un produit ou un personnage, qu’on découvre généralement sur le plateau le jour venu). Alors, oui, on peut travailler sur des choses qu’on déteste et le faire bien ! Car notre goût n’a en principe pas d’incidence sur la qualité du boulot qu’on fournit.

Certaines personnes mélangent tout, ce qui m’agace beaucoup. S’il le fait c’est qu’il a bien voulu, et pourquoi a-t-il bien voulu s’il n’aime pas ? Il l’a donc fait pour l’argent, quelle horreur ! Donc il s’en est foutu, il n’a pas pu y mettre toute sa conscience professionnelle, c’est par conséquent forcément mauvais parce qu’il n’a pu que mal le faire.

Vous expliquez sur votre site être généralement contacté par SMS  dans des délais très serrés. Faites-vous des recherches sur le web histoire de savoir à quel genre de produit vous vous attaquez ?

Non. Je m’en fiche. C’est du boulot et puis voilà. De toute façon, quand on me contacte de cette façon on me précise rarement de quoi il s’agit, pour ne pas dire jamais. Et si on me le dit, bah j’attends le jour venu et les explications du directeur de plateau. C’est beaucoup plus simple. Au reste nous parlons là de doublage. Et qui dit doublage dit nécessité de voir la chose pour faire pareil. Ce qui m’importe c’est ce qu’a fait le comédien que je vais doubler, ou ce qu’exprime le dessin, quand il s’agit de dessin animé. Donc j’ai besoin d’être dans le studio, devant l’image. Tout le reste m’indiffère pour le travail que je vais avoir à fournir. Mais si le produit m’intéresse au moment où je le fais, il m’arrive de faire des recherches après pour en savoir davantage ! 

Vous êtes hilarant en commentateur dans DRAGON BALL Z. Avez-vous improvisé ou simplement suivi le texte ?

J’ai suivi le texte, bien entendu, mais j’en ai rajouté un peu de mon cru quand j’ai pu. ^^

N’avez-vous pas peur d’abîmer votre voix lorsque vous prêtez celle-ci à des personnages animés comme le très énervé Vegeta ?

Tout le monde aura pu constater que le destin des personnages des animés japonais les pousse à rencontrer des gens avec lesquels ils ont une fâcheuse tendance à ne pas réussir à régler leur différends par la diplomatie, c’est-à-dire en parlant calmement, mais plutôt en se tapant dessus. Ce qui est dommage à la fois pour nos comptes en banque (puisque, dans le doublage, les comédiens sont payés à la ligne et que les cris ne sont pas décomptés comme des lignes) et pour nos voix (puisque les « Météores de ceci ou de cela » et autres « Kamehamea » ne sont pas ce qu’il y a de plus délicat pour nos cordes vocales).

Alors, oui, Végéta m’a valu quelques soirées de quasi aphonie (heureusement que je ne chantais pas La Traviata le soir à l’Opéra en sortant des enregistrements…). Et j’y allais toujours en me demandant si j’allais en sortir intact pour le lendemain.

Je parle de DBZ KAÏ, car sur DBZ on laissait généralement les cris de l’original. C’est beaucoup moins bien à l’arrivée, car on peut entendre la différence à la fois de voix, de façon de jouer et de prise de son, mais c’est nettement plus reposant pour les comédiens.

Car il faut bien comprendre que les Japonais ont un rythme de travail qui n’a rien à voir avec le nôtre. Ils enregistrent un épisode en une journée alors que nous en enregistrons 5 dans le même temps, et même davantage parfois (il nous est arrivé d’en faire 8 par jour sur LES CHEVALIERS DU ZODIAQUE)… 

Vous offrez régulièrement de votre temps aux fans des fictions que vous doublez (interviews, conventions etc.). La Toei (DRAGON BALL, LES CHEVALIERS DU ZODIAQUE) est-elle consciente du poids que vous et vos collègues pesez dans le succès francophone de leurs animes ?

Alors là, la question doit leur être transmise ! Je ne peux pas répondre à leur place. 

Jacques Balutin se dit navré de savoir que les médias réduiront sa carrière à la voix de Starsky quand il disparaîtra. Avez-vous peur de ne rester « que » celle de Vegeta ?

Ben ce serait déjà pas mal, au fond. De toute façon je ne vois pas trop ce que je pourrais rester d’autre, vu la glorieuse carrière sur scène et devant la caméra que j’ai faite, hein !

Et puis de toute façon je me fous un peu de ce que je resterai ou pas. Quand je serai de l’autre côté je ne m’intéresserai plus guère à la trace que j’aurai laissée ici-bas. J’aurai des chats beaucoup plus intéressants à fouetter. 

Nadine Delanoë a déclaré dans GENERATION SERIES avoir renoncé à son projet des RYTHMOS D’OR en raison du manque de soutien des membres de la profession.

Et je faisais partie des gens qui n’avaient aucune envie de soutenir un tel projet.  

Le regretté Daniel Gall semblait plus que désabusé sur ANIMUSIQUE quant à ses combats de syndicaliste et vous-même avez parlé de certains problèmes rencontrés avec Evelyne Selena.

Non, j’ai juste dit que cette personne était, malgré son talent, détraquée, furieusement agressive et méchante, qu’elle avait fait pleurer la moitié du métier (dont moi) et s’était fait détester de la quasi-totalité des gens qui faisaient du doublage. Je n’ai jamais eu de « problèmes » spécifiques avec elle qui auraient été ceux que les autres n’auraient pas eus.

Est-ce un métier individualiste à ce point ? Si oui, est-ce dû à la compétition ?

C’est l’être humain qui est individualiste, tout simplement !

Quant aux combats syndicalistes dans notre métier, il y aurait beaucoup à dire sur le sujet. A commencer qu’il conviendrait qu’on soit représentés et défendus par des gens rémunérés pour ça et non par des comédiens qui sont à la fois juges et parties.

L’amitié qui semble vous lier à Céline Monsarrat, Brigitte Lecordier et Patrick Borg est-elle une chose rare ?

Aussi rare ou fréquente que partout ailleurs, je pense. Et je ne suis pas dans la peau et la vie de tous les autres comédiens pour savoir s’ils ont un degré élevé d’amitié pour certains de leurs confrères, de toute façon !

Vous ne mâchez pas vos mots : c’est rafraîchissant, mais cela vous a-t-il déjà coûté des contrats ?

J’aime le « rafraîchissant ».  ^^
Oui, ça m’a fermé des portes, bien entendu.

Par contre, vous ne tarissez pas d’éloges sur CHARLES S’EN CHARGE

Excellent souvenir, en effet. 

Que pensez-vous de cette mode infecte de redoubler des films ?

Je trouve comme tout le monde qu’elle est idiote. Mais bon…

Votre travail en a déjà souffert puisque les trois premiers SUPERMAN ont eu droit à une nouvelle VF.

Bof, ça je m’en fous impérialement. C’est-à-dire que les gens qui ont découvert le film en V.F. à l’époque ont envie, lorsqu’ils achètent les DVD ou regardent les rediffusions, de retrouver les voix qu’ils ont entendues à ce moment-là, je suppose, et doivent être horriblement déçus et frustrés d’en entendre d’autres. C’est dommage pour eux, c’est tout. Sinon, pour les autres, ça n’a aucune importance.
En revanche je trouve que redoubler les vieux films en noir et blanc est une folie. Ça n’a pas de sens puisqu’on nous demande de jouer comme le faisaient à l’époque les comédiens qui doublaient et, de surcroît, on salit ensuite le son pour qu’il ressemble à un vieux son ! Quel intérêt ? Autant laisser les vieilles V.F. pourries, qui avaient une saveur qu’on ne peut pas retrouver. On peut faire tout ce qu’on veut, on ne pose pas nos voix comme les comédiens de l’époque et on n’a pas leur ton, leur phrasé, leur accent, tout ce qui donnait quelque chose de très particulier qui collait avec le style des films et qu’on ne peut pas restituer. C’est comme si on restaurait des vieux tableaux en leur mettant des couleurs plus modernes et des cadres actuels. C’est nul.

Bon, ce n’est que mon avis.  

Lorsque que vous êtes appelé pour la VF d’une fiction avec plusieurs acteurs auxquels vous avez déjà prêté votre voix, avez-vous la possibilité de choisir celui sur lequel vous allez travailler ?

Bah non. C’est le choix du directeur artistique et/ou du client. Point à la ligne.

Déjà bien qu’on me rappelle sur au moins l’un d’entre eux, mon ami !

Merci beaucoup  Monsieur LEGRAND !

Propos recueillis le 27 octobre 2013. 

N’hésitez pas à consulter le site d’Eric Legrand :

http://www.ericlegrand.fr

Sans oublier sa page Facebook :

https://www.facebook.com/pages/Eric-Legrand/107910855905908

Entretien avec Martin Winkler, médecin et docteur es séries !

Martin Winckler est plus qu’un médecin, un conférencier ou un critique.

C’est avant tout un passionné, reconnu pour sa culture encyclopédique et son franc-parler.

Ce grand monsieur m’a fait l’honneur de répondre à mes questions pour une interview parue dans le Hors-Série n°3 de LIBERTE SERIE, sorti le 1er août 2009 et aujourd’hui épuisé, au moment de la diffusion de la 15ème et ultime saison d’URGENCES en France.

La voici, histoire de fêter 2012 en beauté.

Les séries médicales les plus intéressantes, présentent toutes des médecins on ne peut plus compétents. D’Andy Brown à Gregory House, en passant par John Carter, tous ces génies du diagnostic ont des fêlures. Faut-il être un homme brisé pour être un bon praticien ?

 Je ne sais pas, mais ça fait de bonnes histoires. C’est la rupture qui met en porte-à-faux et qui crée des conflits. Et sans conflit, sans dilemme, pas d’histoire. Par ailleurs, un soignant doit toujours affronter les désirs et les peurs des patients qui s’opposent à ou rencontrent les siens… Bref, quand on est soignant, il est inévitable qu’on souffre et qu’on soit écartelé. Ou alors, on est un robot.

Le cas d’EVERWOOD est très intéressant et à plus d’un titre, puisque c’est le médecin qui est un peu le patient dans cette magnifique série. Andy (ré) apprend à vivre, à être un père, un ami. Plus qu’une promesse tenue, prendre la route de cette petite ville, c’est suivre le chemin de la résilience…

Ouais, enfin, je ne suis pas sûr que ça soit aussi intellectuel que ça. Je pense que c’est une démarche plutôt émotionnelle.

A sa manière, SCRUBS désacralise certains tabous (la mort, la maladie, l’argent etc.) mais insiste également sur la relation paternelle  qui lie l’interne à son mentor. Celle-ci, ainsi que la fraternité qui lie les personnages de cette série peuvent-elles exister dans des hôpitaux en manque de personnel ?

Bien sûr. D’ailleurs, on en parle dans ER et dans Scrubs… J’en parle dans mes romans (situés en France…)

Si elles pullulent aujourd’hui, les fictions médicales américaines ont longtemps été écartées de nos écrans (MARCUS WELBY n’est arrivée qu’en 1987 sur M6 et ST ELSEWHERE a du attendre la fin des années 90 avant de débarquer sur Téva). A l’image des épisodes d’AGENCE TOUS RISQUES et MAGNUM faisant référence au Vietnam longtemps mis de côté par TF1 et Antenne 2, y avait-il un tabou quelconque ?

Une censure, plutôt. Les séries judiciaires aussi ont dû attendre les années 80 pour apparaître. Les unes comme les autres montraient des réalités et posaient des questions qu’on ne voulait pas montrer aux spectateurs français. Pourquoi ? Par paternalisme et par mépris. C’est pour les mêmes raisons que les allusions à l’homosexualité sont absentes de la VF de Starsky & Hutch et que certains épisodes de séries n’étaient pas diffusés. C’est d’autant plus insupportable que dans le même temps, au cinéma, on accueillait avec enthousiasme des films « engagés » comme MASH, par exemple, tandis qu’on censurait la série…

Vient alors URGENCES, selon moi LA référence du genre. Mais quel est votre regard de professionnel sur ER ?

A ce jour la plus grande série médicale réaliste de l’histoire de la télé. Rien que ça.

La force d’URGENCES est son concept, bien plus fort que sa distribution, un peu comme NEW YORK DISTRICT ou HILL STREET BLUES, même si les diffuseurs français ne l’ont pas compris, surtout pour la dernière, rebaptisée, à tort, CAPITAINE FURILLO…

Oui, d’ailleurs à ses tous débuts, les acteurs d’Urgences disaient « On est heureux parce qu’on a l’impression de jouer dans « Hill Street Blues ». C’était la référence revendiquée.

Les sériephiles parlent beaucoup moins de CHICAGO HOPE, alors que celle-ci est loin d’être anecdotique (plus décalée qu’URGENCES et moins « soapesque » que GREY’S ANATOMY). Massacrée par France 2, malmenée par TF1, abandonnée par RTL9, elle a pourtant connu une jolie carrière sur Sérieclub et Téva, non ?

 Je ne sais pas si on peut parler de carrière car le câble était anecdotique à l’époque. C’est une série qui a été sacrifiée, à la télévision. Alors que David E. Kelley n’est pas un producteur scénariste anecdotique. C’est malheureux. C’est une série mésestimée qui devrait être réévaluée. Malheureusement elle n’est même pas disponible en DVD…

En parlant de soaps, comment expliquer l’échec de productions telles que GENERAL HOSPITAL chez nous, alors que LES FEUX DE L’AMOUR ou DES JOURS ET DES VIES, du même acabit, fonctionnent ?

Je ne sais pas. Je pense que c’est surtout une histoire de diffusion. FDLA et DJEDV sont à l’antenne depuis très longtemps. General Hospital n’a jamais été diffusé en France, que je sache. Et s’il l’a été je pense qu’il n’y a pas de place (de case) pour un troisième soap. Sur quelle chaîne ? Ni F3 ni M6 n’ont le public pour ça.

GENERAL HOSPITAL a bien été présenté (brièvement) en France, sur TF1, en 1992 sous le titre HOPITAL CENTRAL, puis en 2008, rebaptisé ALLIANCES ET TRAHISONS. Mais, à ma connaissance, seuls les JEUNES DOCTEURS australiens ont trouvé leur public ici, lors des débuts de Télématin… Mais ratons-nous vraiment quelque chose ?

C’est difficile à dire, je ne connais pas bien les soaps, mais c’est un monde en soi, respectable et imaginatif dans un genre particulier qui nous est très mal connu (on commence à comprendre depuis qu’on a Plus Belle La Vie). Cela étant, les VF des soaps sont tellement bâclées que ça devient irregardable en France, alors que ça ne l’est pas aux USA. Un très grand nombre de comédiens de talent ont fait leurs premières armes dans le soap. Et les soap sont appréciés et aimés aux USA. Je pense à une série médicale policière comme Diagnostic Meurtre (mésestimée elle aussi) dont l’une des comédiennes principales, Victoria Rowell, venait des Feux de l’Amour (elle continuait à y jouer pendant la durée de DM !) et dont un des épisodes se passe sur le plateau des FDLA : elle y interprète trois rôles, celui d’Amanda (DM), de Drucilla (FDLA) et son propre rôle. Aux USA, on respecte le public qui aime les soaps et on respecte ceux qui les font. En France, non. C’est toujours le même mépris.

Vous avez d’autant plus raison que DALLAS parlait de mastectomie dès 1979 et DYNASTIE comptait un personnage gay parmi ses protagonistes, peu de temps après…

Oui, et les soaps ont parlé du sida avant tout le monde…

Les dernières fictions médicales françaises (DOCTEUR SYLVESTRE, FABIEN COSMA ou CLAIRE BELLAC) sont très politiquement correctes, alors que les MEDECINS DE NUITS proposaient une vision plus réaliste de leur époque. Comment l’expliquez-vous ?

Je ne dirais pas politiquement correct, je dirais incolore, inodore et sans saveur. Comme toute la production télé française jusqu’à ces dernières années. Ca commence un peu à changer, grâce à des auteurs qui rament. Mais ce n’est pas un Tsunami…

Pourquoi la production française s’est autant affadie ces 2 dernières décennies ? Combien de JOSEPHINE, de JULIE LESCAUT ou de mauvais remakes pour un ENGRENAGES aujourd’hui, alors qu’il y a environ 30 ans, nous avions droit à JULIEN FONTANES MAGISTRAT, LES BRIGADES DU TIGRE, LA DICTEE ou la saga des FAUCHEURS DE MARGUERITE ? Même les purs divertissements n’insultaient pas l’intelligence du téléspectateur (PETIT DEJEUNER COMPRIS, PAUSE CAFE, LES HOMMES DE ROSE, LES 400 COUPS DE VIRGINIE etc.).

Le mépris. La télé est méprisable, y compris par ceux qui la font. Les spectateurs sont méprisables. Les programmes sont méprisables. On ne peut pas produire des choses intéressantes en méprisant son public ou son travail. Voyez les chanteurs ou les écrivains. Mépriser le public est considéré comme inacceptable par la critique. Mais des gens de télé, les critiques l’acceptent. Ce qui veut bien dire que les critiques de télévision sont complices de ce mépris. Si j’ai apporté une chose à la critique télé, c’est bien de me tenir toujours aux côtés du public, et non aux côtés des producteurs.

Je me souviens vous avoir vu vous emporter dans ARRET SUR IMAGES, au sujet de la mauvaise programmation d’AGE SENSIBLE, rare série française à destination du public adolescent à proposer autre chose que des dialogues plats dans un mauvais décor de cafétéria. France 2 avait-elle peur de choquer ?

La responsable de la fiction de l’époque était contre. La série avait été produite contre son avis. Elle l’a tuée en la programmant à une heure aberrante. Toujours le mépris. Et aussi une inculture et une absence d’imagination confondantes de la part des responsables de fiction des chaînes. Ce qu’on reproche aujourd’hui aux multinationales de l’édition (d’être dirigées par des comptables qui ignorent la littérature), on l’accepte très bien des chaînes de télé. C’est une caractéristique française.

La frilosité est-elle la seule explication au fait que nous n’ayons toujours pas notre équivalent de L’ENFER DU DEVOIR, BAND OF BROTHERS ou MASH ?

Ce n’est pas la frilosité, c’est l’autocensure et l’absence de critique du pouvoir. Faire un feuilleton sur la guerre d’Algérie est très compliqué, car ça voudrait dire qu’il faut donner la parole à tout le monde (y compris aux Algériens !) et soulever toutes les polémiques. Aucune chaîne ne veut jouer avec ça parce que le pouvoir est toujours là. Ca sera encore pire avec la nomination du président de France Télévisions par le Président de la République. Comment peut-on encore dire qu’on est dans un pays démocratique quand la télé publique n’est pas (comme en Angleterre) indépendante du pouvoir ?

Les scripts d’A LA MAISON BLANCHE étaient intelligents, osés et visionnaires (Santos/Obama pour ne citer que cet exemple), alors que ceux de L’ETAT DE GRACE étaient lamentables. Le souci de nos scénaristes, plus qu’un manque d’audace n’est-il pas une incompréhension de la société ?

C’est plein de choses : un manque de professionnalisme, de documentation, de vision. Et puis la censure de la chaîne, puisque les épisodes sont toujours « vérifiés » par la chaîne avant d’être tournés ! Des fictions britanniques attaquent la politique ou se moquent de la Reine. Des épisodes de Law & Order ou de 30 Rock critiquent vivement ou se moquent de la General Electric, propriétaire de la chaîne qui les diffuse. Vous imaginez un épisode de Navarro enquêter sur une entreprise de travaux publics ou Joséphine râler contre son téléphone Bouygues ? En dehors des Guignols (qui ont été inventés sous la gauche et servent de soupape populaire), la télévision française est déférente envers tous les pouvoirs. Ce qui est vrai pour les journaux télévisés l’est aussi pour les fictions.

Cela veut-il dire que les choses ne peuvent qu’empirer, maintenant que le placement de produits dans les fictions est autorisé ?

Ce n’est pas à cause du placement de produits. Ils ont ça, aux USA, ça ne les empêche pas de faire des fictions intelligentes. Je crois que c’est une question de sélection, par les chaînes, du type de production qu’elles trouvent « correctes » et d’autocensure (par les maisons de production) afin de proposer aux chaînes des produits qu’elles accepteront.

On entend ça et là que c’est le manque de moyens qui empêche les producteurs de fournir des programmes de qualité. Mais les Québécois ont prouvé le contraire avec des séries de qualité comme MINUIT, LE SOIR.

Bien sûr. La base d’une bonne fiction télé, c’est un scénario solide (c’est-à-dire : bien construit, intéressant, qui apprend des choses et donne à réfléchir). Tout le reste de la chaîne (interprètes, réalisateurs, producteurs) doit servir et transcender le scénario. Mais pour les chaînes de télé en France, une « bonne fiction télé » c’est une production qui en met plein la vue. « Le scénario ? Oh, faut pas trop faire réfléchir le public… » Voilà pourquoi les Québécois font mieux que nous. Ils ne méprisent pas les premiers intéressés. Et ils ont envie de DIRE quelque chose qui leur tient à cœur. Quand vous regardez la conclusion de « Clara Sheller 2 », posez vous la question : « L’auteur de ce truc-là, qu’est-ce qu’il a à nous dire ? Qu’une femme n’a pas besoin d’un homme – gay ou hétéro – pour être heureuse, mais seulement d’être enceinte. » Si ça n’est pas un discours misogyne et réactionnaire, je ne sais pas ce que c’est. Qui l’a fait remarquer ? Personne. La critique française n’a aucun esprit critique envers la production de télévisions hexagonales. Mais quand il s’agit de mépriser les fictions américaines et leur public, là, on se presse au portillon. Et j’insiste sur le mépris, même aujourd’hui. Il ne suffit pas de dire « Six Feet Under », « 24 », « Les Soprano » sont des chefs-d’œuvre » — il faut parler de toute la production US en montrant qu’elle est riche et variée, comme la littérature. Et ne pas oublier qu’on méprise aussi les productions britanniques. La plupart des séries médicales et judiciaires britanniques ne sont jamais diffusées en France. Celles qu’on diffuse le plus sont les fictions historiques ou adaptées d’écrivains de renom. Vous ne trouvez pas ça bizarre, alors que ces gens-là vivent à 30 kilomètres de chez nous ? Vous ne trouvez pas bizarre qu’on ne voie que les plus mauvaises fictions allemandes ? Qu’on ne voie jamais un téléfilm danois ou suédois alors que les Rencontres Internationales de Télévision de Reims en montraient tous les ans depuis 20 ans, jusqu’à ce que la municipalité (de gauche ! nouvellement élue) décide que cette manifestation n’avait plus lieu d’être ?

La télévision a toujours été méprisée en France, et elle continue à l’être même si ce mépris est plus sélectif : les hommes de pouvoir utilisent les images, ils n’en méprisent pas moins ceux qui les regardent et ne veulent surtout pas qu’on leur raconte autre chose que ce qui les arrange.

Il en va de même pour l’animation nipponne, victime d’un mauvais procès, alors que les programmateurs français n’ont pas compris que les fictions animées ne s’adressent pas forcément toutes au jeune public.

Je suis tout à fait d’accord. Ce sont mes enfants qui m’ont fait découvrir les mangas et les animes, pas la télévision française. Et la censure dont les animes ont été les victimes dans les années 80 est la même que la censure à l’égard des séries américaines : les Français n’ont pris que ce qui leur paraissait « culturellement correct ».

Entre la diffusion de 3 à 5 épisodes à la suite, une programmation anarchique et des épisodes censurés et/ou supprimés, la mise à l’antenne des séries, en France, est à proprement parler scandaleuse ! La situation est carrément ubuesque quand TF1 saute le pilote de DR HOUSE, parce qu’elle ne le juge pas assez fédérateur, ou lorsque France 2 supprime le 14ème season finale d’URGENCES en raison de son cliffhanger… Les directeurs des programmes des chaînes sont-ils incompétents ou laxistes ?

Ils sont incultes et méprisants. Et pas très intelligents. Pour être courageux il faut être intelligent. Pour être cultivé, il faut être curieux et ouvert, avoir de l’humour et de l’imagination. Ils n’ont rien de tout ça, mais c’est bien normal, ce sont des gens de pouvoir, pas des artistes ou des hommes et femmes de culture. On ne fait pas de l’art avec le pouvoir. C’est pourquoi j’ai longtemps dit que la télé française, c’est la peinture soviétique des années 30. L’URSS s’est effondrée, mais l’art (en dehors de la littérature, qui se fait sans moyens) ne s’en est toujours pas relevé. Alors, sachant que la mentalité politique de la France n’est pas près de bouger, je ne vois pas la télé française s’en sortir non plus. Ce que je crains, c’est qu’à terme, des chaînes étrangères prennent via l’internet et le satellite, le pas sur les chaînes nationales. Il n’y aura plus de télévision française à proprement parler. Et on aura beau jeu de dire que c’est la faute de l’impérialisme américain…  Mais il en va de la télévision comme de la littérature ou du cinéma : si on préfère vendre les auteurs étrangers parce que les lecteurs préfèrent ça (à juste titre, souvent…) plutôt que publier des auteurs français audacieux, il ne faut s’en prendre qu’à nous-mêmes. Quand on voit que les journaux ont fait tout un plat de la correspondance (insignifiante) entre Houellebecq et BHL, comment voulez-vous qu’ils soient objectifs avec la télévision ?

Merci encore d’accorder un peu de votre temps à un simple amateur, c‘est aussi gentil qu’inespéré !

Vous me donnez la parole, c’est à moi de vous remercier.

J’ai été un « simple amateur » et je le reste (je regarde les séries comme tout le monde, pour le plaisir, avant de les regarder d’un œil professionnel), et quand je vous réponds, je sais que je réponds à d’autres amateurs comme vous et moi. Et c’est ce que tout professionnel devrait faire, à la télévision, en littérature, en médecine. C’est son obligation et c’est un honneur pour lui de lui demander son avis. C’est donc vous qui m’honorez, et non le contraire. (Mais je sais que ça n’est pas la manière dont on voit les choses en France…)

Bon vent à vos projets.

Propos recueillis les 8 et 9 janvier 2009.

N’hésitez pas à consulter les sites de Martin Winckler :

http://martinwinckler.com/

http://wincklersblog.blogspot.com/

Ruez-vous sur les derniers ouvrages de Martin Winckler :

« Les invisibles » (Fleuve Noir)

« Le choeur des femmes » (P.O.L.)